Que faut-il retenir du décret d’application du 2 janvier 2020 sur la société à mission ?

3 questions à Didier G. Martin, avocat associé chez Gide Loyrette Nouel, par Laurence Méhaignerie pour la Communauté des entreprises à mission

Laurence Méhaignerie, CEM : Quelles précisions concernant les sociétés à mission le décret n°2020-1 du 2 janvier 2020 est-il venu apporter ?

La loi Pacte a prévu que l’exécution par une société à mission du ou des objectifs sociaux et environnementaux qu’elle s’est fixée doit faire l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (ou « OTI »). Rappelons que si l’OTI juge que la société a été défaillante dans la poursuite d’un ou plusieurs objectifs, elle peut être privée de la faculté de se prévaloir de la qualité de société à mission dans les documents et supports électroniques qui émanent d’elle.

Le décret en conseil d’Etat du 2 janvier 2020 est venu préciser les conditions de désignation de cet OTI, les modalités de cette vérification et la publicité qui en est donnée.

Laurence Méhaignerie : Quelles en sont les principales dispositions ?

  • Le décret a tout d’abord défini les modalités de désignation de l’OTI et la fréquence de ses vérifications.

L’OTI est désigné, sauf clause contraire des statuts, par l’organe de gestion de la société. Sa mission a une durée initiale de six exercices au plus, renouvelable dans la limite d’un total de douze exercices. Il est choisi parmi les organismes accrédités à cet effet par le COFRAC, Comité français d’accréditation défini par le décret n° 2008-1401, ou par tout autre organisme d’accréditation reconnu dans un cadre européen. Il est soumis aux incompatibilités prévues à l’article L 822-11-3 du code de commerce, c’est-à-dire celles applicables aux commissaires aux comptes.

A ce jour, cette accréditation n’a pas commencé et il faudra un certain temps avant qu’une première liste d’OTI soit établie. Cela ne soulève pas de difficulté en pratique dans l’immédiat car le décret prévoit que l’OTI doit effectuer sa première vérification dans les dix-huit mois de la déclaration de la qualité de société à mission au registre du commerce et des sociétés.

Le décret prévoit que l’OTI doit procéder au moins tous les deux ans à la vérification des objectifs.

Comme cela a été demandé par de nombreuses entreprises, des règles spécifiques s’appliquent aux sociétés de moins de 50 salariés. Elles peuvent avoir un référent de mission, qui peut être un salarié, en lieu et place du comité de mission, auquel cas elles ont deux ans et non dix-huit mois pour obtenir la première vérification de l’OTI, et elles peuvent prévoir que la prochaine vérification de l’OTI n’interviendra qu’au bout de trois ans, et non deux.

  • Le décret a également précisé les pouvoirs de l’OTI, le contenu de son avis et la publicité qui en est donnée.

L’OTI a accès à l’ensemble des documents de la société utile à la formation de son avis et procède à toute vérification sur place qu’il estime utile au sein de la société et, avec leur accord, au sein des entités concernées par les objectifs de la mission

L’OTI rend un avis motivé qui mentionne ses diligences et indique si la société respecte ou non les objectifs qu’elle s’est fixée. Le cas échéant, il mentionne les raisons pour lesquelles, selon lui, les objectifs n’ont pas été atteints ou pour lesquels il lui a été impossible de parvenir à une conclusion.  Cet avis est joint au rapport préparé par le comité de mission, lui-même joint au rapport de gestion soumis à l’assemblée générale annuelle des associés. Il est publié, et demeure cinq ans, sur le site internet de la société.

Laurence Méhaignerie : Le décret semble finalement moins contraignant qu’annoncé. Quelles sont les évolutions par rapport aux projets du décret ayant été soumis à consultation et quelle en est la conséquence?

Effectivement, le décret ne rentre pas réellement dans le détail des vérifications à la charge de l’OTI et des conditions à remplir pour que cette vérification conclue à la bonne exécution des objectifs, et laisse une certaine latitude à l’OTI.

Les versions antérieures du décret soumises à consultation fixaient des conditions assez exigeantes à remplir, objectif par objectif, pour que ce soit le cas.

A première vue, le décret adopté a le mérite de ne pas poser de conditions très strictes de nature à dissuader les sociétés volontaires d’adopter cette qualité, et avec des objectifs ambitieux, ce qui peut aussi rendre l’accès à cette qualité moins sélectif.

On ne peut toutefois pas exclure que des précisions ou des guidelines sur les modalités de la vérification de l’OTI, et sur les critères à remplir pour qu’elle soit jugée positive, puissent être apportés ultérieurement.  Espérons en toute hypothèse que les OTI sauront articuler intelligemment leur mission avec celle du comité de mission, et sauront apprécier chaque mission dans sa singularité sans appliquer des référentiels formatés.

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