Bonjour Florian, pourriez-vous, pour commencer, nous dire quelques mots sur vous et votre parcours ?
Dans la vie civile, je suis entrepreneur. J’ai co-fondé une agence média, CoSpirit, il y a 30 ans, qui compte 250 collaborateurs à Paris, Lyon et Lille. Par ailleurs, sur le plan bénévole, je suis impliqué dans le rugby depuis près de 50 ans, d’abord en tant que joueur, puis en tant que dirigeant. J’ai occupé pratiquement toutes les fonctions depuis l’école de rugby, jusqu’à accéder à la présidence de la Fédération Française de Rugby (FFR).
Justement, vous avez récemment été réélu à la présidence de la Fédération Française de Rugby. Félicitations ! Quels sont, à ce jour, les grands chantiers prioritaires pour le rugby français sous votre leadership ?
Il est impératif de redresser le nombre de licenciés. Le paradoxe, c’est que nous sommes le deuxième sport le plus médiatisé, et la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont été un véritable succès en termes d’audience et d’affluence dans les stades, mais seulement le 10ème en nombre de licenciés. Le deuxième enjeu prioritaire est bien sûr les performances de nos équipes de France et de nos arbitres. Le troisième axe stratégique vise à renforcer le poids de notre fédération sur la scène internationale. Je souhaite également rétablir la santé financière de la FFR, qui traverse actuellement une situation très préoccupante, c’est le 4ème axe. Enfin, le dernier chantier est de transformer la FFR en une Fédération à Mission, en assumant pleinement notre rôle qui dépasse le simple cadre sportif. Nous devons embrasser notre mission éducative et citoyenne.
Un des axes forts de votre campagne était justement la transformation de la FFR en Fédération à Mission. Quelles sont vos ambitions concrètes derrière cette démarche ? Quels seraient les éléments de la mission de la FFR ?
Pour l’ensemble des 2000 clubs, nous portons d’abord une mission éducative à travers le sport. Le rugby est né à l’école et a été conçu pour ses valeurs éducatives et pédagogiques : respect, solidarité, loyauté, esprit d’équipe.
Le deuxième axe regroupe toutes les actions citoyennes menées par les clubs. Nous souhaitons inciter les clubs à s’engager pleinement dans cette direction. Parmi nos 2000 clubs, 65 disposent déjà de sections de rugby adaptées pour les enfants ou adultes en situation de handicap, 75 possèdent des sections de rugby santé dédiées aux personnes atteintes de cancer ou de diabète. Nos clubs jouent également un rôle actif dans la lutte contre l’obésité. Le rugby est l’un des rares sports où le surpoids ne constitue pas un obstacle, permettant ainsi aux pratiquants de se sentir bien dans leur corps et dans leur esprit, accueillis avec le sourire. Il existe un lien direct entre le harcèlement scolaire et l’obésité, tout comme entre pauvreté et obésité. Nous avons aussi 270 clubs qui interviennent dans des quartiers prioritaires, offrant notamment aux jeunes filles un espace où elles peuvent se construire un périmètre d’autonomie grâce au rugby. Par ailleurs, notre sport est profondément enraciné dans les zones rurales : 591 clubs sont situés en milieu rural, où ils jouent souvent un rôle social majeur. Dans certains villages, le club de rugby est même plus important que le bureau de poste.
Enfin, nous comptons environ une centaine de clubs qui se mobilisent pour l’emploi, favorisant l’insertion professionnelle grâce au rugby. De nombreux clubs ont aussi mis en place des programmes d’écoresponsabilité, utilisant le rugby comme outil pédagogique. Ce que j’appelle la ‘Fédération à Mission’, ce sont tous ces clubs qui font du bien au rugby en investissant dans l’éducation par le sport ou dans des actions citoyennes.
Qu’est-ce qui vous inspire dans la philosophie de la Société à Mission ?
J’ai toujours été convaincu que sens et performance ne sont pas antinomiques : lorsque l’on donne du sens à ce que l’on fait, on performe mieux. C’est une vérité qui s’applique autant à l’entreprise qu’au sport, y compris au plus haut niveau. J’insiste beaucoup auprès des joueurs et joueuses de nos équipes de France sur l’importance de comprendre le rôle sociétal du rugby. J’aime à dire que, dans le rugby, nous ne transformons pas seulement les essais : nous transformons aussi les individus. Notre rôle citoyen est fondamental et doit être rappelé sans relâche et pleinement assumé. Il m’a semblé naturel que des fédérations puissent devenir – à l’image de certaines entreprises qui font ce choix – des ‘Fédérations à Mission’. Mon objectif est de concrétiser cette démarche et, à terme, de l’inscrire dans nos statuts de façon pérenne.
Quels leviers avez-vous identifiés pour rendre cette transition possible ?
Nous avons pour ambition d’inciter nos 2000 clubs à adopter une vision alignée avec nos objectifs. Pour cela, nous avons défini 47 critères dans le cadre d’un nouveau programme : le Label Club Engagé. Ces 47 critères permettent d’évaluer et de classer les 2000 clubs de France sans qu’ils aient besoin de remplir de dossiers. La moitié des critères sont quantitatifs et reflètent des engagements liés à l’éducation par le sport et à la citoyenneté.
L’autre moitié des critères est qualitative, issue des échanges et des évaluations menées entre les présidents de clubs et les cadres techniques de la FFR, afin d’analyser les actions concrètes mises en œuvre par les clubs, qui dépassent la simple performance sportive.
Pour soutenir les clubs qui font du bien au rugby, nous avons créé un fonds de dotation intitulé « Rugby au Cœur », regroupant entreprises et collectivités pour mobiliser des ressources financières et matérielles à destination des clubs engagés.
Et à l’inverse, quels freins ou obstacles anticipez-vous ?
Certains peuvent parfois considérer que le rôle des clubs devrait se limiter exclusivement à l’aspect sportif. Cependant, avec de la pédagogie, nous parvenons à lever ces réticences, même si certains accordent moins d’importance à la dimension éducative et citoyenne. Il est essentiel de ne pas opposer ces deux aspects. Investir dans l’éducation ou la citoyenneté à travers le sport renforce la performance sportive. Tout fonctionne mieux lorsqu’un club donne du sens à ses actions. De la même manière, il ne faut pas opposer la performance au sens : les deux se nourrissent mutuellement.
Avez-vous des exemples autour de vous de Sociétés à Mission dans votre milieu professionnel (non sportif) ?
J’ai suivi le parcours d’Emery Jacquillat, qui a rapidement embrassé la question du sens et de la performance dans son entreprise. J’ai toujours eu une forte appétence pour les dimensions sociétales et citoyennes, et il m’a semblé naturel d’imaginer une fédération à mission.
Yohan Penel*, qui a cherché à introduire des changements au sein de la Fédération de Badminton, s’est heurté à quelques résistances internes. Cependant, nous partagions une vision commune : celle du rôle de la délégation de service public et de la responsabilité d’agir au-delà du domaine sportif, tout en respectant pleinement la vocation première qu’est le sport.
*Nouveau Directeur de l’Observatoire des Sociétés à Mission